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Au coeur de l'immense vallée d'Etosha, perdue quelque part en Afrique Australe, le soleil d'octobre brûle la terre assoiffée du Scurb. Aussi loin que porte le regard c'est un sol aride, craquelé et desséché qui s'étend vers les horizons. Des buissons d'épines parsèment la terre poudreuse. Le vent d'Est soulève parfois de longues volutes de poussière ocre, sèche et brûlante. Les pierres surchauffées semblent crier dans le silence ardent qui coule si lentement qu'il paraît immobile. Le ciel bleu métal reste désespérément vide.
A l'ombre précaire d'un buisson d'épines une forme allongée sommeille dans la torpeur du jour. C'est un ratel, un petit carnassier à robe blanche et noire. Ses flancs se soulèvent au rythme oppressant de la chaleur. De rares mouches bourdonnent dans l'air étouffant, musique lancinante de ce coin de terre oublié de Dieu. là-haut, dans l'azur vibrant de soleil, un charognard plane en silence. Une gazelle isolée hume l'air chargé de dangers. Le cri plaintif d'un titihoya trouble le calme. A quelques foulées derrière la gazelle une ombre tachetée se glisse sur le sol poudreux entre les buissons d'acacia. Le ratel s'est dressé et observe la scène, les oreilles tendues et les yeux fixes. Dans le ciel muet, l'oiseau a raccourci ses cercles.
Brutalement un éclaire fauve se rue vers la gazelle avec un rugissement sauvage. La course effrénée qui suit ne durent que quelques secondes. D'un prodigieux coup de rein le guépard bondit en plein élan à la gorge de sa proie ; ses griffes acérées labourent les flancs de l'animal qui s'effondre dans un nuage de poussière grise, la nuque broyée par l'étau implacable de mâchoires d'acier du félin. La poussière sèche retombe lentement. Dans le ciel éblouissant, le charognard descend déjà en tournoyant. Le ratel se lève, hume le vent puis se rapproche prudemment du guépard haletant et de sa victime immobile.
Ce soir là le soleil disparu dans un océan de nuages flamboyants. Ses ultimes rayons de pourpre sombres enflammèrent le Scurb assoiffé.
Le jour suivant est lourd, chargé d'énormes nuages gris. Il fait une chaleur étouffante. les buissons frissonne au vent d'Ouest. Un lycaon ronge la dépouilles encore sanglante de la gazelle. Les craquements sinistres des os broyés résonnent. De lourdes masses noires s'amoncellent, l'air est chargé d'électricité. Le ratel scrute l'horizon inquiétant, sa queue balaye la poussière avec nervosité. Les nuages roulent. Un étrange silence pose soudain sa chape de plomb sur la vallée d'Etosha. le vent est tombé. Les animaux immobiles hument les effluves de l'atmosphère. Le bourdonnement incessant des mouches s'est tu. Plus rien ne bouge dans le Scurb assombri.
Alors, comme prit de pitié pour cette terre de soif et d'épines, du fond du ciel naît un roulement sourd, puis les premières larmes des nuages tombent sur le sol craquelé. Enfin le ciel pleure.
L'averse se prolonge longtemps, avidement bu par la nature.
Aussi loin que porte le regard c'est maintenant une immense prairie qui verdoie sous les caresses d'un soleil tamisé. Des milliers de fleurs diaprent les vallons. L'éphémère printemps du Scurb éclate enfin en gerbes parfumées. Au loin, un troupeau de sprinbooks mène une sarabande effrénée. Des points d'eau sont né un peu partout. A l'ombre d'une touffe de buissons clairs le guépard contemple la surface d'une mare bourdonnante d'insectes. Le Scurb hier presque silencieux est aujourd'hui rempli des rumeurs de la vie, de hautes herbes vertes, de fleurs d'or et d'arbustes en bouquets. Le soleil décline lentement. Il sombre dans un cortège de nuages lourds, gras de pluies. Le vent vient du couchant : demain il pleuvra encore, le jour après demain également, jusqu'au soir où l'astre finira sa course dans un horizon vide. Alors l'implacable sécheresse reviendra pour de longs mois reposer sa main ardente sur le Scurb, comme le veut le rythme immuable et lent des saisons dans l'éternelle vallée d'Etosha.
1982
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