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Noire et moite, l'ombre lourde des buissons impénétrables couvre la terre mouillée. La jungle bruisse sourdement. Sous l'épais manteau de la végétation luxuriante la vie cachée continue son cycle immuable. L'air embaumé par les parfums sauvages monte de l'inextricable sous-bois vers les cimes touffues des arbres.
Un long corps luisant glisse sans bruit autour d'une branche acajou. Le serpent brille comme une émeraude dans la clarté diffuse du soleil que filtre les grands cycias. Sa cruelle tête triangulaire se balance lentement près d'une orchidée-papillon, deux petits rubis sanglants scrutent le sous-bois engourdi. Plus haut, dans les branches chargées de lianes, les oiseaux animent l'air surchauffé. Leur splendides parures d'or et de feu émaillent les lourdes feuilles vertes. L'oiseau-lyre chante son étrange mélodie. Curieux spectacle que cet oiseau qui semble échappé d'un paradis dans cet enfer étouffant.
L'atmosphère s'alourdit. Au─dessus de la forêt bruissante, de lourds nuages noirs s'amoncellent et assombrissent le ciel. L'air est moite et inquiétant, dans le sous-bois plus rien ne bouge. La nature semble attendre. Le long serpent d'émeraude a disparu dans les hautes herbes. Le paradisier s'est tu et plus rien ne volent entre les branchages moussus. Pendant l'espace de quelques secondes le silence est total dans la jungle : plus un cri, plus un bruit.
Alors seulement, un long grondement roule sous la voûte du ciel et les nuages crèvent. Sous un déluge de grosses gouttes de pluie chaudes, la vie a reprit : le long fuseau luisant se love autour d'un tronc humide, l'oiseau d'or et de feu s'abrite en chantant sous les feuilles qui ruissellent, l'air embaumé retentit de la sourde rumeur sauvage et du crépitement de la pluie qui scintille.
1982
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